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jeudi 25 septembre 2014

exposition "les Peuples du Sahel" 

panneau 11 Rébellion et conflits par M André Bourgeot

Le septentrion malien composé des gouvernorats de Tombouctou, Gao et Kidal est pluriculturel. Des sociétés sédentaires majoritaires ( Songoye), se partagent cet espace avec des sociétés minoritaires de pasteurs nomades, de caravaniers, d'agro pasteurs (Touaregs, Peuls, Maures , Arabes) et d'agro pêcheurs (Bozos). Ces sociétés s'imbriquent souvent et entretiennent, selon les circonstances historiques et politiques, des relations de bon voisinage. Celles-ci sont actuellement bousculées par des turbulences politico militaires d'horizons divers.


Quels sont ils  ?
Sur le plan national, le nord du Mali peut être considéré depuis les années 2005-2006 (et au delà) comme une zone de non droit. Elle se caractérise par l'emprise d'activités criminelles qui relèvent, pour l'essentiel, du trafic de drogues illicites (cocaïne, cannabis), de fraude et de contrebande diversifiées (produits alimentaires, carburant) en provenance d'Algérie, d'êtres humains relatifs à l'acheminement de migrants clandestins. C'est dans ce contexte que les autorités étatiques brillent par leur insuffisance, favorisent la corruption qui se ramifie dans l'ensemble des appareils d'État, à un haut niveau  : souveraineté et autorité de l'État sont en déclin sensible.

Cette situation est le cadre socio politique au sein duquel les conséquences des interventions militaires franco britanniques, puis celles de l'OTAN, en Libye (15 février au 22 octobre 2011)  vont se manifester. Elles ont pour effet de déstabiliser la sous région et le retour précipité des Touaregs maliens incorporés d'abord dans les légions islamiques crées par le Colonel Mouammar Qaddhafi, puis dans l'armée nationale libyenne.

Ces Touaregs, aguerris, rentrent au Mali, avec des armes modernes puisées dans l'arsenal libyen laissé à ciel ouvert après l'assassinat du guide de la «  jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste  », le 20 octobre 2011.

À l'issue de ce retour, se crée le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) se déclarant laïc et indépendantiste, accusant (selon leur terminologie) le Mali de pays colonisateur de l'Azawad qu'il présente comme la terre de leurs ancêtres ce qu'il n'est pas. En effet, cette appellation ethno géographique, couvre les terrains de parcours sillonnés par les pasteurs nomades maures (Bérabich) entre Tombouctou et Araouane, soit 380 km2, alors que ce mouvement le définit comme l'ensemble des régions de Tombouctou, Gao et Kidal.. Sur le plan historique il n' y a jamais eu de chefferie, ni de royaume ni d'empire de l'Azawad. Il s'agit donc d'une construction politique qui ne peut se prévaloir d'une profondeur historique pour se légitimer. Ils signeront une convention avec les forces armées djihadistes qui fera long feu. Leur propagande trouva un écho certain auprès des médias français.

Une autre composante de l'affaiblissement de l'État concerne l'islam politique.
Globalement l'islam au Mali est affilié au sunnisme de rite malékite. Sa réputation est celle de la tolérance à l'égard des pratiques musulmanes, des autres religions monothéistes (chrétiennes) et croyances (animisme).

Alors comment analyser et tenter de comprendre les ruptures au sein de cet islam, et l'implantation des groupes armés narco djihadistes (Aqmi, Mujao et Ansar Eddin el Salafiya) se réclamant de la nébuleuse Al Qaïda et du salafisme djihadiste  ?

Un faisceau de trois composantes principales qui se combinent, peuvent en éclairer la compréhension.
- Ces groupes interviennent dans un contexte où le septentrion malien est une zone de non droit ce qui facilite leur insertion et leur sanctuarisation (unions matrimoniales avec des femmes maures et touarègues). Ils se livrent à des actions humanitaires concernant les soins médicaux , la distribution de produits alimentaires, l'application stricte des dogmes archaïques de la chariya salafiste du XIIIè siècle (amputation de mains, flagellation publique, lapidation).
- Situation de grande précarité et de pauvreté notamment dans les sociétés nomades touarègues, maures et arabes, qui traversent de graves crises structurelles depuis plusieurs années et dont les repères sociaux et culturels s'estompent, voire disparaissent. Certains d'entre eux seront sollicités pour constituer des petits groupes de sous-traitants monnayés qui serviront d'agents recruteurs pour renforcer les katibas (brigades islamistes).
- L'action des confréries et/ou des sectes islamistes, telles que la Djama'at al tabligh1 dont l'influence s'est exercée dans l'Adagh (région de Kidal) et plus particulièrement sur un des leaders des rébellions touarègues des années 90.

 D'une manière plus ponctuelle, l'ascendance de la wahabya2 à Gao et dans les îles avoisinantes depuis plusieurs décennies expliquerait la réceptivité du salafisme djihadiste incarné ici par le Mujao.
Les trois groupes armés narco djihadistes définissent la nébuleuse Al Qaïda qui occupe le septentrion.
- Aqmi  : Al Qaïda au Maghreb islamique. Il est le seul à pouvoir se réclamer d'Al Qaïda dont le «  label  » lui a été reconnu par Oussama ben Laden en 2007. Il résulte du démantèlement du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) par l'armée nationale populaire (ANP) algérienne. Il exerce son influence dans la région de Tombouctou.
- Le Mujao  : mouvement pour l'unité et le jihad en Afrique de l'ouest découle d'une scission à l'intérieur d'Aqmi. Sa composition (multinationale) incorpore également des Touaregs Noirs, des anciens esclaves de Touaregs Blancs, des Peuls, des Arabes particulièrement efficaces dans le trafic de cocaïne et qui en constitue le noyau dur.
- Ansar Eddin el Salafiya  : dirigé par un des leaders touaregs des rébellions armées des années 1990. Ce groupe est essentiellement composé de Touaregs et , à un degré moindre, de Maures.

Toutes ces forces occuperont le septentrion malien. Le coup d'État militaire perpétré par le capitaine Amadou Haya Sanogo le 22 mars 2012, précipita la partition territoriale du Mali dont l'intégrité est en cours de restauration après l'opération militaire française «  Serval  3».

Ces situations, dramatiques pour les populations du septentrion (et au delà), ont provoqué un exode massif de réfugiés dans les États de la sous région (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie, Niger) et de déplacés dans les grands villes maliennes, notamment à Bamako.
Ces réfugiés sont pris en charge par l'UNHCR (Agence des Nations Unies pour les Réfugiés). Ils ne bénéficient souvent que d'un seul repas quotidien alors que les cadres des groupes rebelles (Touaregs et à un degré moindre, Arabes) évoluent dans la capitale burkinabée (Ouagadougou) dans des conditions d'un luxe violent et arrogant.
Les conditions politico militaires actuelles qui tendent à se pérenniser depuis 2012 n'ont pas permis l'amorce d'un retour de ces réfugiés.

André BOURGEOT
Directeur de recherche émérite (CNRS)
Laboratoire d'anthropologie sociale

1 «  Association pour la prédication  » . tabligh a le sens de «  délivrer  ». Elle est plus connue sous l'appellation de da'wat (le prêche).
2 Secte politico religieuse saoudienne, issue de l'islam sunnite hanbalite

3 Petit félin du désert aux grands oreilles pointues dont la caractéristique est d'uriner 30 fois par heure, marquant ainsi son territoire.

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