exposition "les Peuples du Sahel"
panneau 11 Rébellion et conflits par M André Bourgeot
Le septentrion malien
composé des gouvernorats de Tombouctou, Gao et Kidal est
pluriculturel. Des sociétés sédentaires majoritaires ( Songoye),
se partagent cet espace avec des sociétés minoritaires de pasteurs
nomades, de caravaniers, d'agro pasteurs (Touaregs, Peuls, Maures ,
Arabes) et d'agro pêcheurs (Bozos). Ces sociétés s'imbriquent
souvent et entretiennent, selon les circonstances historiques et
politiques, des relations de bon voisinage. Celles-ci sont
actuellement bousculées par des turbulences politico militaires
d'horizons divers.
Quels sont ils ?
Sur le plan national, le
nord du Mali peut être considéré depuis les années 2005-2006 (et
au delà) comme une zone de non droit. Elle se caractérise
par l'emprise d'activités criminelles qui relèvent, pour
l'essentiel, du trafic de drogues illicites (cocaïne, cannabis), de
fraude et de contrebande diversifiées (produits alimentaires,
carburant) en provenance d'Algérie, d'êtres humains relatifs à
l'acheminement de migrants clandestins. C'est dans ce contexte que
les autorités étatiques brillent par leur insuffisance, favorisent
la corruption qui se ramifie dans l'ensemble des appareils d'État, à
un haut niveau : souveraineté et autorité de l'État sont
en déclin sensible.
Cette situation est le
cadre socio politique au sein duquel les conséquences des
interventions militaires franco britanniques, puis celles de l'OTAN,
en Libye (15 février au 22 octobre 2011) vont se manifester.
Elles ont pour effet de déstabiliser la sous région et le retour
précipité des Touaregs maliens incorporés d'abord dans les légions
islamiques crées par le Colonel Mouammar Qaddhafi, puis dans l'armée
nationale libyenne.
Ces Touaregs, aguerris,
rentrent au Mali, avec des armes modernes puisées dans l'arsenal
libyen laissé à ciel ouvert après l'assassinat du guide de la «
jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste », le 20
octobre 2011.
À l'issue de ce retour,
se crée le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) se
déclarant laïc et indépendantiste, accusant (selon leur
terminologie) le Mali de pays colonisateur de l'Azawad qu'il
présente comme la terre de leurs ancêtres ce qu'il n'est pas. En
effet, cette appellation ethno géographique, couvre les terrains de
parcours sillonnés par les pasteurs nomades maures (Bérabich) entre
Tombouctou et Araouane, soit 380 km2, alors que ce mouvement le
définit comme l'ensemble des régions de Tombouctou, Gao et Kidal..
Sur le plan historique il n' y a jamais eu de chefferie, ni de
royaume ni d'empire de l'Azawad. Il s'agit donc d'une construction
politique qui ne peut se prévaloir d'une profondeur historique pour
se légitimer. Ils signeront une convention avec les forces armées
djihadistes qui fera long feu. Leur propagande trouva un écho
certain auprès des médias français.
Une autre composante de
l'affaiblissement de l'État concerne l'islam politique.
Globalement l'islam au
Mali est affilié au sunnisme de rite malékite. Sa réputation est
celle de la tolérance à l'égard des pratiques musulmanes, des
autres religions monothéistes (chrétiennes) et croyances
(animisme).
Alors comment analyser et
tenter de comprendre les ruptures au sein de cet islam, et
l'implantation des groupes armés narco djihadistes (Aqmi, Mujao et
Ansar Eddin el Salafiya) se réclamant de la nébuleuse Al Qaïda et
du salafisme djihadiste ?
Un faisceau de trois
composantes principales qui se combinent, peuvent en éclairer la
compréhension.
- Ces groupes
interviennent dans un contexte où le septentrion malien est une zone
de non droit ce qui facilite leur insertion et leur
sanctuarisation (unions matrimoniales avec des femmes maures
et touarègues). Ils se livrent à des actions humanitaires
concernant les soins médicaux , la distribution de produits
alimentaires, l'application stricte des dogmes archaïques de la
chariya salafiste du XIIIè siècle (amputation de mains,
flagellation publique, lapidation).
- Situation de grande
précarité et de pauvreté notamment dans les sociétés nomades
touarègues, maures et arabes, qui traversent de graves crises
structurelles depuis plusieurs années et dont les repères sociaux
et culturels s'estompent, voire disparaissent. Certains d'entre eux
seront sollicités pour constituer des petits groupes de
sous-traitants monnayés qui serviront d'agents recruteurs pour
renforcer les katibas (brigades islamistes).
- L'action des confréries
et/ou des sectes islamistes, telles que la Djama'at al tabligh1
dont l'influence s'est exercée dans l'Adagh (région de Kidal)
et plus particulièrement sur un des leaders des rébellions
touarègues des années 90.
D'une manière plus ponctuelle, l'ascendance de la wahabya2 à Gao et dans les îles avoisinantes depuis plusieurs décennies expliquerait la réceptivité du salafisme djihadiste incarné ici par le Mujao.
Les trois groupes armés
narco djihadistes définissent la nébuleuse Al Qaïda qui occupe le
septentrion.
- Aqmi :
Al Qaïda au Maghreb islamique. Il est le seul à pouvoir se réclamer
d'Al Qaïda dont le « label » lui a été reconnu
par Oussama ben Laden en 2007. Il résulte du démantèlement du
Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) par l'armée
nationale populaire (ANP) algérienne. Il exerce son influence dans
la région de Tombouctou.
- Le Mujao
: mouvement pour l'unité et le jihad en Afrique de l'ouest découle
d'une scission à l'intérieur d'Aqmi. Sa composition
(multinationale) incorpore également des Touaregs Noirs, des
anciens esclaves de Touaregs Blancs, des Peuls, des Arabes
particulièrement efficaces dans le trafic de cocaïne et qui en
constitue le noyau dur.
- Ansar Eddin el
Salafiya : dirigé par un des leaders touaregs des
rébellions armées des années 1990. Ce groupe est essentiellement
composé de Touaregs et , à un degré moindre, de Maures.
Toutes ces forces
occuperont le septentrion malien. Le coup d'État militaire perpétré
par le capitaine Amadou Haya Sanogo le 22 mars 2012, précipita la
partition territoriale du Mali dont l'intégrité est en cours de
restauration après l'opération militaire française «
Serval 3».
Ces situations,
dramatiques pour les populations du septentrion (et au delà), ont
provoqué un exode massif de réfugiés dans les États de la sous
région (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie, Niger) et de déplacés
dans les grands villes maliennes, notamment à Bamako.
Ces réfugiés sont pris
en charge par l'UNHCR (Agence des Nations Unies pour les Réfugiés).
Ils ne bénéficient souvent que d'un seul repas quotidien alors que
les cadres des groupes rebelles (Touaregs et à un degré moindre,
Arabes) évoluent dans la capitale burkinabée (Ouagadougou) dans des
conditions d'un luxe violent et arrogant.
Les conditions politico
militaires actuelles qui tendent à se pérenniser depuis 2012 n'ont
pas permis l'amorce d'un retour de ces réfugiés.
André BOURGEOT
Directeur de recherche
émérite (CNRS)
Laboratoire
d'anthropologie sociale
1 «
Association pour la prédication » . tabligh a le
sens de « délivrer ». Elle est plus connue sous
l'appellation de da'wat (le prêche).
2 Secte
politico religieuse saoudienne, issue de l'islam sunnite hanbalite
3 Petit
félin du désert aux grands oreilles pointues dont la
caractéristique est d'uriner 30 fois par heure, marquant ainsi son
territoire.
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